Au delà du témoignage sur nos conditions de travail, je souhaiterais énumérer l'ensemble des points qui nuisent au fonctionnement et à la rentabilité de notre activité. Si certains nécessiteraient une réelle remise en cause, d'autres ne sont que des questions de bon sens ou de simple application de règles déja acceptées par les intervenants.
Dans un premier temps, tout diffuseur de presse interrogé sur sa rémunération se plaindra de la faiblesse des taux appliqués dans notre métier en comparaison de ceux pratiqués dans d'autres professions ou dans d'autres pays. Cela est une évidence pour tous et les quelques améliorations liées aux différents plans de qualification ne sauraient être considérées comme satisfaisantes dès lors qu'elles sont accordées de manière parcimonieuse et en contrepartie d'investissements parfois importants. Pour l'avenir, il parait indispensable d'envisager une réelle revalorisation de nos taux de rémunération sans aucune contrepartie.
Cela étant dit, je m'interroge également sur l'absence de remise en cause des taux de rémunération accordés au titre des activités annexes à celle de distribution de la presse. Il est tout à fait symptomatique de constater qu'en dehors de l'activité papeterie ou librairie, qui sont les axes de diversification classiques des magasins de presse, toutes les autres activités qui cherchent à s'y implanter, envisagent rarement une rémunération supérieure à 5 % du chiffre d'affaire réalisé. Comme s'il était normal que l'activité presse supporte à elle seule l'intégralité des charges du magasin (loyers, salaires, mobilier, informatique,...). Pourtant si la Française des Jeux, la Poste ou les opérateurs téléphoniques devaient proposer leurs produits dans des boutiques dédiées, nul doute que leurs charges seraient largement supérieures à ces quelques % "généreusement" alloués. Curieusement, la capillarité de notre réseau, notre proximité, nos horaires d'ouverture étendus, ne semblent peser d'aucun poids pour ces intervenants lorsqu'il s'agit de nous rémunérer.
Pour conclure sur le sujet de la rémunération, il me semble donc que, même s'il est important de revaloriser les conditions liées à la vente de journaux, il ne faudrait pas oublier de revoir les conditions dans lesquelles la FDJ, la Poste, les opérateurs de téléphonie ou les prestataires logistiques (Relais Colis, Kiala, ...) s'implantent dans nos points de vente. Il est clair que dans ce domaine, une négociation individuelle n'a aucune chance d'aboutir et ne peut donc être envisagée qu'au niveau des enseignes (SEDDIF, ...) ou à défaut d'un syndicat ou d'une association représentative.
Ceci étant dit, revenons plus précisément aux conditions dans lesquelles s'exerce notre activité de vente de journaux.
La tarte à la crème de notre profession, le leitmotiv invoqué dans chaque réunion où se croisent d'illustres représentants de notre noble métier consiste à claironner que l'objectif de chacun doit être d'oeuvrer pour que dans chaque magasin le bon papier (c'est à dire le papier qui se vend) doit être livré à la bonne date et dans la bonne quantité.
Il est étonnant de voir comment ce slogan, partagé par tous, est tous les jours contredit par la réalité.
Quelque soit l'angle par lequel on aborde cette question, nous, diffuseurs de presse, n'observons que dysfonctionnements, dérèglements et inapplications des règles du jeu pourtant longuement discutées préalablement à leur mise en place.
Tout commence lors de la mise en place de certains titres. Il semblerait normal que toute demande d'implantation d'une publication par un magasin soit suivie d'effet, ne serait-ce que durant une période, afin de tester la présence ou l'absence d'une clientèle sur ce point de vente. Cette demande venant du diffuseur de presse qui répercute en général, celle d'un client, il est toujours étonnant de constater combien de demandes d'installation d'une publication restent lettre morte. En l'absence d'interlocuteur sur le sujet, il est alors impossible pour le diffuseur de connaitre les raisons du refus d'installation. Il ne lui reste plus alors qu'à expliquer à son client que celui-ci ne pourra trouver ce titre dans ce magasin, avec le risque bien sûr de voir ce client aller ailleurs.
Vient ensuite la problématique du réglage titres. Il n'est pas nécessaire de s'étendre sur le sujet. Tout le monde sait que nous sommes fréquemment en rupture de titres vendeurs et en excédent sur des titres qui ne trouveront jamais de lecteurs. Mais à cela viennent s'ajouter les erreurs de comptage du dépôt dont l'effet dévastateur culmine avec les titres vendus avec suppléments (type Figaro Magazine). Lorsque vous recevez plus de Figaro journal, que de magazines sensés être vendus avec, et que cela se produit plusieurs semaines d'affilées, non seulement vous ne pouvez pas contenter vos clients, mais en plus vis à vis de l'éditeur vous n'apparaissez jamais en rupture puisque vous retournez au dépôt les exemplaires du journal (porteurs du code barre) que vous n'avez pu vendre faute de suppléments en quantité suffisante. Il y a donc double peine : non seulement vous avez raté des ventes auprès des clients, mais vous risquez également d'être en rupture les semaines suivantes faute d'avoir pu démontrer que votre potentiel de vente était supérieur aux quantités servies.
Par ailleurs, vous avez le cas fréquent d'un titre qui monte en puissance et pour lequel, vous recevez une certaine quantité à chaque nouveau numéro et, soudainement, sans raison particulière, la quantité livrée est très nettement inférieure aux quantités vendues précédemment ce qui vous place dans une situation très désagréable vis-à-vis de vos clients qui considèrent que vous êtes forcément responsables de cette livraison insuffisante. La frustration est naturellement exacerbée par l'absence d'interlocuteur en mesure de vous indiquer cette brusque variation de quantité livrée, le dépôt se défaussant systématiquement sur l'éditeur avec lequel vous n'avez bien sur aucun contact.
Le sommet est atteint avec les encyclopédies. Des clients décident de suivre régulièrement une collection et vous achètent donc tous les numéros qui sortent, les uns après les autres. Pourtant, invariablement, au bout de quelques semaines, vous ne recevez plus les quantités nécessaires pour contenter tout le monde. Cela est ennuyeux lorsqu'il s'agit d'une collection, mais ça devient très agaçant lorsque nous parlons de la réalisation d'une maquette et que la rupture survient vers le 60 ème exemplaire, soit lorsque le client a engagé une somme considérable. D'où le mécontentement compréhensible du client qui ne comprend pas que nous ne parvenions pas à solutionner son problème, et qui finit soit par se tourner vers le site internet de l'éditeur, soit par abandonner à la fois la collection et votre magasin, soit par s'abonner lors d'une prochaine collection.
D'une manière générale, le réglage titres, quoiqu'on nous en dise, ne parait suivre aucune logique. Combien de fois constatons nous en rendant une publication dont pas un exemplaire n'a quitté notre magasin, que la quantité livrée pour le numéro suivant a été augmentée, parfois de manière très significative ? A contrario, et cela est naturellement plus sensible sur les titres les plus vendeurs, combien de fois le service sur une publication se trouve t il réduit sans explication particulière, générant des ruptures soudaines et incompréhensibles.
Il y a même des rayons pour lesquels il devient "héroïque" de parvenir à conserver une clientèle. Lorsque vous avez une clientèle fluctuante sur un rayon comme les publications hippiques par exemple, et que de ce fait vous ne recevez certaines publications que quelques jours par semaine, vous êtes ainsi condamné à voir cette famille décliner, les clients se détournant naturellement d'un magasin dans lequel ils ne sont pas sûrs de trouver leur magazine. Il paraîtrait logique de déterminer par famille de produit la liste des titres dont nous devrions avoir systématiquement au moins 1 exemplaire en rayon afin d'avoir une offre minimale cohérente. Mais curieusement, cette idée n'a jamais été reprise au cours d'aucun des nombreux colloques sur les difficultés de la presse dont j'ai pu lire les compte-rendus.
Le point suivant concerne le réassort. Par définition, une demande de réassort réalisée par un diffuseur fait suite à la demande d'un client. Il s'agit donc d'une vente certaine. Et pourtant, en dehors des encyclopédies pour lesquelles nous parvenons avec plus ou moins de succès selon les éditeurs à obtenir satisfaction, il est quasi impossible d'obtenir un complément de produits suite à des ventes exceptionnelles sur une publication. Ce point me parait totalement désarmant. Comment peut on m'expliquer qu'à aucun moment de la vie d'une publication, on ne puisse trouver quelqu'un pour récupérer des exemplaires en excédent dans un point de vente et les envoyer sur un point de vente en rupture ? Certains dépôts ou diffuseurs ont parait il mis en place des procédures de secours sans qu'on ne parvienne à généraliser cela à l'ensemble des dépôts.
De tous les points précédents, je retiens des caractéristiques communes : absence d'interlocuteur ayant une réelle capacité à régler les difficultés rencontrées, méconnaissance des éditeurs et des dépôts de la réalité des ventes réalisées, incapacité de la structure à réagir aux variations de clientèle sur une ou des publications. Il paraît en outre évident que ces problèmes dureront tant que les services continueront à être pilotés par les éditeurs et non par les diffuseurs, et tant que les demandes de réassort ou de modifications de services seront traitées avec autant de légèreté voire d?inefficacité.
A ce point de mon intervention, il serait facile de m'expliquer que la situation que je décris est largement connue de tous et que de nombreuses mesures ont ou vont être prises pour régler tous ces problèmes. Et nous parlerons donc des mesures de plafonnement, de l'assortiment et de la diversification qui sont les thèmes à la mode dans la profession.
Dans ma grande naïveté, je pourrais être enclin à me laisser séduire par un tel discours si, au cours de ces dernières années, je n'avais pu observer avec quel enthousiasme les règles mises en place en faveur des diffuseurs avaient été systématiquement contournées sans aucune conséquence pour les éditeurs concernés.
"Un numéro chasse l'autre" nous répète t on tel un mantra lors de tous les stages CEFODIP. Vaste plaisanterie ! Il suffit de regarder à un instant t combien de magazines sont encore présents alors que le numéro suivant voire celui d'après y sont également. L'utilisation abusive des numérotations S et H n'étant jamais sanctionnée, on ne voit guère pourquoi la situation évoluerait.
Les délais de règlement offrent aussi de multiples surprises. Combien de titres dont la durée de vie n'a plus qu'un lointain rapport avec le délai accordé au diffuseur pour payer ses ventes ? Avec des dérapages notables sur les produits de diversification qui sont de plus en plus souvent rappelés bien après la date à laquelle ils ont été payés au dépôt.
Le plafonnement est une autre joyeuseté. S'appliquant strictement sur certains titres dont nous ne recevons que 2 ou 3 exemplaires, cette mesure bizarrement se trouve contournée pour ceux sur lesquels nous recevons plusieurs dizaines d'exemplaires. Curieux. Mais là encore aucun interlocuteur en mesure de nous expliquer les raisons de ce "dysfonctionnement".
Reste le feuilleton de l'assortiment. L'alpha et l'omega de l'UNDP, qui, depuis quelques années nous dessine un avenir radieux grâce à cette trouvaille révolutionnaire : avoir dans nos magasins les titres que nous vendons ! Je ne reviendrai pas sur le feuilleton de sa mise en place et notamment le comportement de certains éditeurs demandant après deux ans de tests que l'on se mette d'accord sur la notion de "titre vendeur" ! Je ne reviendrai pas non plus sur l'absence de lien systémique entre le plafonnement et l'assortiment, comme si ces deux aspects n'étaient pas indissolublement liés. Non, je me contenterai de souligner que réaliser un tel travail de sélection des titres vendeurs et de ceux qui ne le sont pas, d'exclusion des titres inutiles et de réimplantation, conséquence logique de ce travail, pour qu'au bout de 6 mois, n'importe quel éditeur puisse décider, sans avoir à demander l'avis du diffuseur, de remettre dans les rayons de celui-ci les titres précédemment exclus, cela s'appelle : perdre son temps ! En d'autres termes, il m'apparaît évident que cette démarche d'assortiment indispensable à tout métier de commerçant a été vidée de tout son sens dans l'accord finalement conclu, ce qui conduira à son échec dans la tentative de réduire le nombre de titres inutiles dans un point de vente, de la même manière que les mesures GTI ou le plafonnement.
Je ne m'étendrai pas sur la diversification, ce formidable levier de développement trouvé par nos messageries pour compenser la décroissance (pardon, la croissance négative) des ventes de journaux. Depuis l'épisode des cassettes vidéo, puis des DVD, qui ont réussi à masquer durant quelques années les difficultés de nos magasins, les penseurs de notre vénérable profession cherchent désespérément le ou les produits qui permettront de prolonger notre lente agonie à défaut d'assurer notre guérison. Il nous a donc été proposé de développer les activités carterie ou librairie. Peu importe que ces activités soient déja présentes depuis nombre d'années chez la plupart des diffuseurs. Pour faire bonne mesure, nous avons vu arriver des propositions plus exotiques comme la prestation de service autour des cartes grises. Plus récemment, nous avons été envahis par un tas de jouets et gadgets en tout genre dans des quantités variables, sans souci de gamme ou de cohérence. Et je ne parle pas des idées de développement d'un rayon snacking qui émergent à intervalle régulier. De toutes ses idées, il ressort surtout une impression de flottement, une absence de cohérence, et l'impression que tout celà conduira à transformer nos magasins en petits bazars sans aucune image claire et sans concept réfléchi, au risque de brouiller définitivement notre image auprès de nos clients.
Pour finir, j'aborderai brièvement le rôle des enseignes type SEDDIF. Lorsque je suis entré dans la noble profession de diffuseur de presse, je me suis dit qu'adosser mon magasin à une enseigne répandue sur tout le territoire était le meilleur moyen de participer à une aventure en bénéficiant de l'expérience de professionnels. Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que je referais le même choix. En effet, si l'on peut considérer que l'apport de cette enseigne en terme d'aménagement du magasin constitue un aspect intéressant pour un néophyte, on peut s'interroger sur l'utilité de cette structure dans les autres domaines. En terme d'animation commerciale, elle n'agit qu'en répercussion d'opérations montées par certains éditeurs, lesquels auraient réalisés ces opérations avec ou sans la SEDDIF. En termes de développement d'activités nouvelles, je n'ai eu connaissance d'aucune proposition de cette enseigne durant les 6 dernières années. Enfin, reste l'activité de "référencement de fournisseurs". Là encore il est permis de s'interroger sur cette activité dès lors qu'aucun travail de choix de fournisseur n'est effectivement réalisé. Pour illustrer mon propos, je prendrai l'exemple des prestataires informatiques. Comment la SEDDIF peut elle avoir le moindre poids vis-à-vis de l'un de ces fournisseurs dès lors qu'ils sont tous référencés ? En n'agissant ni comme centrale d'achat, ni comme centrale de référencement, la SEDDIF se prive en fait de tout intérêt commercial et au final apporte une aide très relative à ses adhérents.
En conclusion de ce (trop) long exposé, je souhaiterais dire que je continue à croire qu'il existe une place pour des magasins de presse dans le paysage commercial de demain. Je suis également convaincu que nos magasins doivent évoluer pour ne pas disparaître Mais je suis tout autant convaincu que nous continuerons à perdre des clients tant que notre offre en magasin ne sera pas clarifiée et stabilisée, tant que chaque éditeur pourra nous inonder de ses publications sans tenir compte des particularités de notre clientèle et tant qu'il ne sera pas remédié aux dysfonctionnements de notre organisation. Je reste persuadé que le respect des règles déja existantes et leur correcte application permettrait d'améliorer considérablement la situation de nombres de points de vente. Et dans un monde idéal je rêve que le diffuseur reprenne le controle de son magasin en décidant quels titres doivent s'y trouver et en quelle quantité, et qu'il puisse trouver dans les structures amont (dépôt et éditeurs) de véritables interlocuteurs et partenaires responsables et conscients que nos ventes sont leurs ventes et que notre réussite contribue à la leur.